La tyrannie de l’espoir et la tendance transformative

Manu Bazzano

Malgré son adhésion naturaliste à l’expérience organismique, la thérapie centrée sur la personne a été dès le début le réceptacle d’une métaphysique de seconde main. Celle-ci est évidente dans certaines formulations – par ex. la notion de tendance formative. Cette dernière, « observée dans l’espace stellaire, dans les cristaux, dans les micro-organismes, dans la vie organique plus complexe, et chez les êtres humains » (Rogers, 1980, p. 133), est un modèle téléologique de développement organique selon lequel un ordre essentiel dirige le développement vers une fin finalement bonne.
Comme pour toute métaphysique de seconde main, la tendance formative est l’ombre de Dieu, l’autre puissant qui, sous un déguisement quelconque, viendra à notre secours. Ce modèle est la fondation de l’espoir ; il se manifeste par l’attribution anthropocentrique d’un but à l’existence et de conceptions bienveillantes au passage du temps. Cependant, historiquement, l’espoir a été la base de la tyrannie.
Avec la montée du populisme, de la bigoterie et de l’extrême droite dans beaucoup de parties du monde; de la montée de l’oppression par classe, race, âge, compétence, orientation sexuelle ou identité de genre, l’espoir fournit un magnifique rêve éveillé dont nous pouvons nous satisfaire au lieu d’être impliqués dans une action transformative.
D’autres théories évolutives qui capitalisent, entre autres choses, sur la physique quantique, parlent de forces naturelles actives et réactives. Alors que ces forces réactives sont purement adaptatives, les forces actives se complaisent dans l’affirmation de la différence. L’Approche centrée sur la personne peut être revitalisée par un plus grand alignement avec les forces actives plutôt que les forces réactives. Pour ce faire, il nous faudrait laisser derrière nous la tendance (transcendantale) formative au profit de la « tendance transformative » (immanente) (Rud, 2016). Ce moment de transformation n’a pas de visée ou de but particulier. C'est « actualiser », mais sa subversion créative et délicieuse est simplement le terrain de jeu des forces actives, un endroit où nous pouvons apprendre à reconnaître et encourager les forces actives chez les individus et les sociétés.

  • Manu Bazzano, Royaume-Uni
    Manu Bazzano est psychothérapeute centré sur la personne, et superviseur en cabinet privé. Il a étudié les pratiques contemplatives orientales depuis 1980 et a été ordonné selon les traditions Soto et Rinzai du Boudhisme Zen en 2004. Il est l’auteur et l’éditeur de plusieurs livres y compris Spectre of the Stranger, After Mindfulness, Therapy and the Counter-tradition and the forthcoming Revisioning Person-centred Therapy and Nietzsche and Psychotherapy. Conférencier invité à l’université de Roehampton de Londres, Manu Bazzano facilite des ateliers et séminaires internationaux. Il est éditeur de la revue Person-Centred & Experiential Psychotherapy. www.manubazzano.com 

Écouter en tant qu’être : alternative à l'espoir

Art Bohart

Le poète Robinson Jeffers a déclaré que "l'espoir n'est pas pour les sages". D'un autre côté, Alexandre Dumas a dit que toute la sagesse humaine est contenue dans les mots « attendre et espérer ».
Dans cette discussion, je vais examiner s'il est sage d'espérer. Je suggérerai qu’espérer met souvent dans la position de savoir à quel point on peut contrôler la vie. Cela peut à son tour créer du pessimisme et du désespoir.
À la place, je vais proposer une vision du processus de vie, en focalisant davantage sur « se laisser aller avec les changements ». Se concentrer sur l'écoute réactive à la vie, essayant de trouver l’harmonie dans le moment, d'être ouvert à ce qui se présente, écoutant les opportunités quand elles se présentent, plutôt que d'essayer de prévoir et de contrôler. C'est une forme de présence centrée, ou de présence focalisée. Je vais aussi faire la distinction entre cette vision et les manières dysfonctionnelles d'être présent centré, ou d’être présent focalisé.
La vie, finalement, devient « attente », « écoute », participative, co-créative et « partage de biens communs ». Ce n'est pas une manière passive d'être. Cependant, c’est actif dans un sens différent de ce que souvent nous pensons être actif.

  • Art Bohart, Etats-Unis
    Professeur émérite à la retraite, Art Bohart est co-auteur et co-éditeur de How Clients Make Therapy Work, Empathy Reconsidered, Humanity’s Dark Side, Constructive and Destructive Behavior. Son travail s’intéresse à l’empathie et au client comme agent actif de sa propre guérison. Il termine actuellement un roman autobiographique à trois niveaux pour dire tout ce qu’il a voulu dire durant des années.

Clients traumatisés et en deuil: pouvons-nous leur donner de l'espoir?

Ton Coffeng

Lorsque l'on rencontre des clients qui ont subi une perte ou un traumatisme, l'espoir n'est pas la première association qu'un thérapeute ferait, leurs histoires tristes n'invitant pas à l'optimisme.
Pourtant, le travail avec ces clients est enrichissant. Les histoires peuvent être tristes, mais le processus de thérapie est plein de perspective. Je donnerai des exemples de clients que j'ai eu dans le passé.
Les thérapeutes peuvent contribuer à ce développement positif. Je discuterai de quelques principes qui sont aidants. Pour en citer quelques-uns : tendance à éviter ; deux chaises ; un rond-point ; un endroit.
Ces principes fournissent une base permettant aux clients de s'installer. Ils sont plus importants que les techniques. La plupart des concepts je les ai appris de Gendlin, Prouty, Bohart, et d'autres. Certains, je les ai inventés moi-même pendant les thérapies. Ils proviennent des thérapies centrée sur le client, expérientielle et existentielle ; d'autres orientations, et aussi de l'observation d'autres thérapeutes dans leurs travail.
Vous avez probablement, des idées à ce sujet, j'aimerais les entendre lors de la discussion qui suivra.

  • Ton Coffeng, Pays-Bas
    Psychiatre et psychothérapeute en cabinet privé aux Pays-Bas, Ton Coffeng est formateur, superviseur, superviseur de formation des thérapeutes de l’Association hollandaise de psychothérapie centrée sur le client et expérientielle (VPeP) et formateur du réseau de pré-thérapie. Il est formateur/coordinateur du Focusing Institute, de New York et conférencier sur le trauma et la dissociation à l’Université de Groningen. Ton Coffeng est l’auteur de publications sur le focusing, la thérapie de groupe, le chagrin, le trauma et la dissociation.

Espoir et Désespoir : Une perspective Focus-Émotionnelle

Robert Elliott

Le sujet de l'espoir n'est pas quelque chose de communément discuté par les thérapeutes centrés sur les émotions.  Je vais certainement vouloir en parler de plusieurs points de vue et envisager d'examiner à la fois l'espoir et le désespoir, son image miroir. Je vais d'abord utiliser le langage et les métaphores trouvées dans différentes langues pour regarder la phénoménologie de l'espoir et du désespoir, en abordant les questions existentielles clés, soulevées par les gens au cours des siècles alors qu'ils ont rencontré des expériences d'espoir et de désespoir.
Deuxièmement, je veux regarder sérieusement l'espoir et le désespoir du point de vue de la thérapie centrée sur les émotions (TCE) en considérant par exemple le fait que dans la TCE, le désespoir est considéré comme une émotion alors que l'espoir est traité comme une cognition. Pour remédier à cela, je présenterai une formulation de la TCE de l'espoir comme une émotion humaine importante, incluant l'espoir adaptatif qui nous aide à avancer dans nos vies face aux incertitudes, à l'espoir réactif secondaire ("siffler dans le noir"), l’espoir inadapté primaire (s'accrocher obstinément à des situations non résolues qui ne peuvent pas changer), et l'espoir instrumental (offert faussement par sens du devoir social ou de la bienséance).
Troisièmement, je voudrais discuter du rôle de l'espoir dans le processus de changement chez les clients souffrant d’anxiété sévères en société, avec lesquels j'ai travaillé pendant les 10 dernières années : des gens qui viennent en thérapie parce que leur peur des autres a brisé leurs principaux projets de vie et les a laissés coincés et sans espoir. Je voudrais présenter un cas clinique de l'un de ces clients et suivre l'émergence de l'espoir au cours de sa thérapie, en me basant sur des données de recherche, incluant principalement des descriptions qualitatives des données de Change Interview et Helpful Aspects of Therapy.
Enfin, je voudrais conclure en évoquant brièvement certains aspects spirituels et psychologiqus de l'espoir et du désespoir dont je me m’inspire souvent de mon travail avec les clients, incluant l'idée de T.S. Eliot “d’attendre sans espoir“.

  • Robert Elliott, Royaume-Uni
    Ph.D, professeur de counselling à l’Université de Strathclyde, Robert Elliott a été co-éditeur de la revue Person-Centered and Experiential Psychotherapies. Il est co-auteur de Learning Emotion-Focused Therapy et a écrit plus de 150 articles. Il a reçu en 2008 le prix Carl Rogers de la division de Psychologie Humaniste de l’Association Américaine de Psychologie.

Les défis de la rencontre radicale dans les besoins urgents

Marcia Tassinari

Compte tenu du fort taux d'abandon des clients dans tous les types de psychothérapie individuelle, il semble raisonnable de proposer une autre façon de faire face à la détresse psychologique, principalement au sein des institutions de santé s’occupant de personnes  défavorisées.
J'ai l'intention de montrer que ce taux élevé d’abandon ne signifie pas que la psychothérapie ne fonctionne pas. En réalité, il démontre le besoin de changements du paradigme classique de la psychothérapie individuelle hebdomadaire à long processus dans un bureau soigné et confortable pour écouter et comprendre les gens, peu importe où ils se trouvent et être réceptif à tout type de besoin.
Aligné sur le thème de la conférence PCE 2018 « Faciliter l'espoir - défis personnels et sociétaux », je propose le développement de la clinique d'urgence psychologique à travers le service de garde psychologique (Plantão Psicológico). Ce type de service peut être déployé dans différents contextes, même pour une seule rencontre. Au Brésil, nous avons ce genre de pratique depuis les années 70, mais seulement depuis la dernière décennie, elle a été pratiquée dans de nombreux endroits : hôpitaux généraux et psychiatriques, écoles primaires, dans les rues, les favelas et dans les centres de consultation. Je souhaite également présenter les principales caractéristiques de ce processus à travers les conditions de base proposées par Rogers ainsi que nos nouveaux apprentissages, et nos nouvelles recherches et pratiques. Le concept de clinique d'urgence psychologique semble parfaitement correspondre aux besoins urgents que les gens ont d’être écoutés sans jugement. Enfin, nous avons l'intention de revisiter et de débattre du concept de « radicalité de la rencontre » afin de penser à une relation d'aide psychologique authentique. Nous pouvons dire que Rogers a radicalisé la psychothérapie, élargissant ses limites et mettant l'accent sur l'aspect guérisseur d'une bonne relation. Maintenant, j'oserais proposer que le service de garde psychologique puisse radicaliser la psychothérapie, élargir ses limites, quitter la salle de pratique privée et offrir une aide psychologique partout où les gens se trouvent. Les défis que mes collègues et moi avons rencontrés en travaillant avec des personnes socialement défavorisées nous donnent l’ampleur de la nécessité de réviser certaines idées fausses sur ce qu’est un fonctionnement psychologique sain. Je vais présenter quelques exemples qui confirment notre espoir en tant que professionnels de la santé pour apporter des changements sociaux et psychologiques.

  • Marcia Alves Tassinari, Brésil
    Brésilienne, âgée de 66 ans, je suis psychologue centrée sur la personne depuis 1975 et titulaire d’un master et un doctorat en psychologie avec une spécialisation en psychologie clinique. J’enseigne à l’université Santa Úrsula. J’ai écrit des livres, des chapitres et des articles publiés au Brésil. Je participe à de nombreux événements nationaux et internationaux centrés sur la personne depuis 1975.

  • Carol Wolter-Gustafson, Etats-Unis
    Ed.D., est une éducatrice centrée sur la personne, ancienne de l'Université de Lesley, auteur et psychothérapeute. Ses publications et ses conférences explorent les implications sociales de la théorie de l'APC et les questions de genre, de l'incarnation, des neurosciences et du pouvoir. Elle s'est engagée auprès de « Going Global Workshop » focalisant sur le moyen de sortir de la culture du «nous contre eux» pensant que cela alimente la violence à l'échelle locale et mondiale.